Après-Coup

Jorg retourna au travail sans encombres. Il fit comme s’il ne s’était rien passé cette nuit-là, comme si les gardes n’étaient jamais venu le chercher pour l’emmener au palais. Bien sûr ce n’était pas le cas, et il n’essayait pas de cacher ce fait, seulement il était encore dans ses heures de service et il n’allait pas rentrer chez lui alors qu’il était censé travailler ! Ainsi, à ceux qui demandaient ce qu’il avait fait il expliquait qu’il avait été mandaté pour faire la cuisine à un haut responsable, feintant l’ignorance quand à pourquoi c’était lui qui avait été choisi. Pince-Mi était retourné de lui-même à la cage, et il semblait même l’avoir refermée tout seul ! L’éducation de cet oiseau était vraiment particulière. Ainsi Jorg reprit-il son service, sans plus d’incident que d’habitude, jusqu’à la fermeture du restaurant pour la nuit. Il rentra alors chez lui, son oiseau et sa cage sous le bras, figure incongrue traversant les rues de Cylnaes encore animées par les bars et les boîtes de nuit. Une fois chez lui il fit comme à son habitude : manger un peu, faire un peu de rangement, préparer les affaires pour le lendemain, donner à manger à Pince-Mi, puis se coucher afin d’être en forme pour le jour suivant.

Une fois couché il put prendre le temps de réfléchir à la soirée, à ce qu’il s’était passé, et aux conséquences à venir. Il avait entendu à la radio que les médias savaient qu’il s’était passé quelque chose au palais, sans savoir quoi encore. Il ne savait pas encore si Zéro avait réussi à libérer son dragon ou non, et n’en saurait probablement rien avant demain.  Mais il allait surtout devoir s’inquiéter de son propre sort… Tôt ou tard les soldats viendraient le chercher pour l’interroger, il s’en doutait. Et il allait devoir s’en sortir par lui-même vraisemblablement, car il n’avait pas d’atout à jouer. Il ne pourrait compter que sur sa candeur apparente pour jouer l’innocence… Des pensées similaires l’empêchèrent de dormir une partie de la nuit, le faisant chercher des moyens de s’en sortir sans pour autant en trouver de raisonnables.

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*MIIIIP MIIIIP MIIIIP MIIIIP MIIIIP MIIIIP M-Clonk*

Le même réveil que d’habitude, à 5h du matin, réveilla Jorg de sa nuit agitée. Comme à son habitude, il se leva sans tarder puis se dirigea vers la douche. Mécaniquement il reproduisit ses gestes habituels, qui l’amenèrent au moment de prendre le petit-déjeuner et de lire le journal. Cette fois les nouvelles étaient officielles : Zéro avait réussi et était libre, avec son dragon. La nouvelle rassura Jorg, au moins l’opération avait été un succès. Mais il savait qu’il allait bientôt commencer à stresser pour lui, il commençait déjà à guetter l’arrivée de soldats. Il était persuadé qu’ils allaient venir le chercher aujourd’hui ; au moins ils avaient eu la décence de le laisser dormir, c’était toujours cela de pris… Il continua ainsi ses préparations pour partir travailler, comme d’habitude, tout en écoutant d’un air inquiet ses alentours, ce qui lui fit faire quelques bêtises en même temps.

Aska avait laissé son amie depuis un quart d’heure environ, elle avait embarqué un gendarme avec elle et maintenant ils étaient dans la voiture en train de filer au restaurant où travaillait Jorg Streichner. Elle espérait qu’il soit soit chez lui, soit à son travail, la capitaine avait confiance dans les membres de son équipe pour l’arrêter sans faire de remous, autant publiquement que psychologiquement pour le suspect. Tant qu’il n’était pas reconnu coupable, le serveur était présumé innocent, de même, Aska qui avait vu les photos ne voyait pas en lui un criminel. Bien sûr, elle n’avait pas des dizaines d’années d’expériences, mais elle sentait tout de même qu’il n’avait pas l’étoffe de grand criminel, peut-être à la limite de petits délits, mais pas un crime de trahison non plus. Dans tous les cas il était simplement suspect.
— Revoyons le plan, commença la capitaine alors qu’ils arrivaient au restaurant, nous entrons, si nous ne voyons pas Streichner on va chercher le patron, j’ai reçu les informations sur le restaurant, il est ouvert. Nous ne l’arrêtons pas en tant que criminel d’accord, c’est un suspect et potentiellement le seul qui pourra nous aider à savoir ce qu’il s’est passé cette nuit.

Aska tenait particulièrement à bien le traiter, bien trop souvent elle avait vu des suspects braqués, qui demandaient toujours un avocat ou qui faisait valoir le fait qu’ils étaient considérés comme « témoin », cela compliqué toujours le dialogue et il fallait toujours recourir à des méthodes différentes… C’était d’une perte de temps et ce n’était pas impartiale. Leur métier était d’arrêter, de tirer les vers du nez certes, mais ils n’avaient pas à juger. C’était le rôle de la cour.

Avec son collègue, ils n’avaient pas mis les gyrophares, le but n’était pas d’alerter ni la population ni le suspect, il s’agissait d’un contrôle de routine, sous couverture d’une banale affaire de vol dans le quartier de Jorg. Ainsi cela n’éveillerait pas les soupçons de son employeur si jamais il était innocent. Mais Jorg avait quand même aidé Eavel et cette seconde femme, devant un juge il serait coupable, s’il pouvait prouver qu’il l’avait fait tout ça sous la contrainte, qu’il était une victime, alors sûrement qu’il s’en tirerait sans prison ni amende. Mais encore fallait-il qu’il coopère, qu’il montre qu’il n’avait rien fait. Mais peut-être que l’instinct de la capitaine et se trompait et qu’il avait contribué sans être forcé, sans contraintes de la part d’Eavel ou de cette autre femme. Peut-être qu’il avait voulu devenir un criminel, frapper un grand coup pour entrer dans les faveurs d’un réseau, ou pour s’assurer d’être fait pour la pègre. Même si ce moyen était bien plus risqué que voler dans un magasin.

La voiture se gara non loin du restaurant, dans une rue adjacente, ils devaient donner l’impression d’un contrôle de routine, le plan était clair : demander à Jorg Streichner de venir au commissariat pour être entendu au sujet d’un vol de bijoux dans son quartier. L’équipe qui se rendait à son domicile avait le même plan, il fallait de la cohérence.
Lorsqu’ils entrèrent dans le restaurant, ils n’aperçurent pas la chevelure verte, caractéristique, du serveur, peut-être ne travaillait-il pas l’après-midi ou qu’il avait pris un jour de congé, ou bien il était dans les toilettes, les vestiaires… Dans tous les cas il ne semblait pas visible dans la salle de repas.

— Bonjour, nous recherchons Jorg Streichner, est-il ici ? Nous avons besoin de son témoignage.
Aska n’avait pas traîné dans la salle et s’était directement rendu en cuisine pour parler à celui qui semblait être le cuisiner en chef. Elle n’avait pas tout dit mais avait lâché un peu d’information, puisque bien souvent quand une personne indiquait à une autre « la police te cherche » n’était pas rassurant, mais un « la police veut ton témoignage » pouvait être plus engageant. Il fallait maintenant voir si le serveur allait être coopératif ou pas.

De même, la capitaine qui gardait le contact avec son équipe « domicile » savait qu’ils étaient sur place, en train d’arriver. S’il ne s’était pas enfui et qu’il coopérait alors cette histoire ne serait bientôt plus entre ses mains.