Exploration, round 2

5h30 du matin. Le bus partait dans un quart d'heure, le bus le plus tôt qu'elle avait pu trouver, qui allait dans la bonne direction. Pour Ryuko, se lever aussi tôt était plutôt habituel, mais elle se demandait si Orion aurait le courage de venir faire le voyage. La jeune fille l'avait simplement prévenu la veille par message, alors ce matin, elle attendait de voir si sa tête blanche allait apparaître sur le parking de la gare routière. C'était d'ailleurs étrange de voir la gare d'aussi tôt. Le parking était immense, digne de la gare routière d'une capitale, et surtout, la quasi totalité des cars était stationnée, tous bien rangés et alignés. Et bien sur, zone de transit oblige, malgré l'heure matinale, plusieurs personnes accompagnées de valises et sac à dos marchaient d'un pas pressé, le regard hagard, cherchant le numéro de leur quai en vérifiant douze fois les informations de leurs billets.

Ryuko pour sa part, n'avait que son simple sac à dos qu'elle utilisait pour aller en cours. Mais cette fois au revoir les cahiers de cours et manuels, le sac était rempli de tout ce qu'elle emportait habituellement pour l'exploration. Assise sur un banc en bois, devant le quai numéro seize, l'adolescente attendait en soupirant, comptant les secondes avant le départ. Son dos commençait même à lui faire mal à force d'être affalé contre le dossier, mais c'était loin d'être insupportable au point d'attirer l'attention de son esprit. Ce dernier préférait profiter de l'ambiance.
Les rayons du soleil n'atteignaient pas encore le haut des immeubles, mais le ciel était clair, en plein été le jour arrivait toujours tôt et le bleu pâle se confondait avec les traînées laiteuses de nuages. La seule chose tranchante était les coins des bâtiments, carrés et austères. Des vrombissements de voiture, de moto, et cet espèce de bruit de fond constant dont seul le centre ville avait le secret, alors que certains trouvaient tout cela fatiguant, cette atmosphère avait un au contraire un effet rassurant sur la jeune fille. Les petites brises de vent lui apportait tantôt une odeur de pot d'échappement, d'autres fois le parfum chaud et appétissant d'une boulangerie ouvrant ses portes. Un environnement changeant de seconde en seconde, rapide, imparfait, anxiogène et toujours en mouvement, c'était son milieu. Le milieu des humains. Et ces derniers avaient tout de même fait l'effort d'adapter des endroits à la présence des reptiles volants.

S'ennuyant rapidement, pour occuper un peu ses mains, Ryuko fouilla dans les poches de son sac dans l'espoir d'y trouver un truc à bricoler. Souvent elle se baladait avec des objets divers à manipuler, tel que des morceaux de bois à tailler, des fils de caoutchouc a scoubidou, du papier à plier en forme de cocotte. Cette fois, elle en sortit des bout de tissus coloré, qu'elle avait commencé a assembler. Enfin quelque chose à faire ! L'adolescente se cala sur le banc les genoux repliés, et se mit à trifouiller ces bandes de tissus pour les tresser en forme de bracelet, de couleurs blanches, et différentes nuances de bleus. Vivement que le conducteur du bus arrive !
Et vivement qu'Orion arrive, aussi. Ryuko espérait aller explorer ensemble, c'était plus amusant de pouvoir faire la conversation avec lui qu'avec les arbres ou les rochers. Elle lui renvoya un message pour lui demander s'il allait arriver ou s'il préférait dormir comme un mollusque. Le bus allait en direction du sud-ouest, et avait un arrêt dans un village pas trop loin de la tour Taejin. Parce que ça faisait un moment que son scooter l'attendait la-bas, perdu en plein milieu des cailloux de la zone aride ! Et même si elle devait se le trimbaler entre les mains pour le reste du voyage, elle voulait le récupérer. Et puis, dans ce coin là, il y avait non seulement des tas de maisons ou anciennes fermes abandonnées, mais surtout... le sceau détruit ! Peut-être que Dahaka sera là aussi ? Elle se demandait bien comment Orion réagirait s'il voyait cette tronche au sourire louche.
Et pas de danger de tomber sur une zone militaire protégée... si tout allait bien. Donc le seul tord de la journée allait être de sécher les cours, mais ça, ce n'était qu'un simple détail. Bon c'était très loin de l'endroit où le monstre géant avait été vu, mais c'était peut-être mieux de faire profil bas quelques temps en particulier avec la caserne de Lor'danel. Avec l'armée tout court aussi, d'ailleurs, elle ne voulait pas se retrouver en salle d'interrogatoire ! Surtout qu'ils étaient sans doute encore plus sur les nerfs, en ce moment, après cette évasion... deux fois, quand même, qu'ils se faisaient avoir ! Ça n'allait pas arranger l'humeur des soldats à la caserne, ça c'était certain.

Un grognement s'échappa de ses lèvres alors qu'il remettait la couverture sur sa tête. Il était bien trop tôt, toujours trop tôt. Orion s'était couché tardivement, comme à son habitude, il avait traîné sur internet, ne sortant même pas de sa chambre, ne remarquant même pas le retour de sa sœur. Les déchets s'accumulaient dans sa poubelle qu'il devait sortir depuis plusieurs jours, mais le reste de sa chambre restait tout de même propre, encombrée certes mais elle n'était pas encore une décharge. La seconde sonnerie du réveil retentit, devenant toujours plus forte mais ne parvenant toujours pas à tirer le garçon de son lit. Il était tellement tôt.
Un second grognement grimpa dans sa gorge mais sa main tira tout de même la couverture, au moins son corps connaissait ses obligations. Le corps se redressa, le froid du matin -malgré l'été- assailli ses pieds et il se dirigea automatiquement vers la fenêtre pour la refermer. Ses yeux fatigués regardèrent l'écran pour découvrir avec effroi l'heure dessus : cinq heure du matin. Il avait plusieurs dizaines de minutes pour se préparer, manger un peu, se débarbouiller la face et enfin partir.

Lorsqu'Orion descendit, il se rendit compte que sa sœur n'était pas encore rentrée, la porte de sa chambre -ouverte- en témoignait, mais ce n'était pas quelque chose d'inhabituelle, notamment ces derniers jours où elle s'était épuisée au travail, à la tâche même.
— Hmm...
Le jeune garçon venait d'ouvrir tous les placards, constatant que l'absence répétée de sa sœur n'avait pas permis de faire des courses -et comme lui ne s'en occupait très rarement-. Par conséquent il ne restait plus grand chose à se mettre sous la dent. Son ventre gargouilla, un soupir ennuyé passa sur ses lèvres, mais bon, il lui fallait manger, avoir des forces pour ce qui l'attendait. Ryuko l'avait prévenu la veille, au soir, il s'était préparé comme il l'avait pu, préparant un sac qu'il espérait être correct. Il ne savait même pas pour combien de temps ils en auraient, plusieurs jours ? Seulement quelques heures ?
Orion était assis à la table de la cuisine, son sac au sol, il regardait par la fenêtre, observant la nuit fuir le jour, observant le jour rattraper la nuit, il y observait le ciel, pas encore bleu mais pas pour autant noir. Les seuls sons qu'il pouvait entendre étaient le craquement du pain sec sous ses dents, le ronronnement du réfrigérateur, des bruits familiers qui finissaient par disparaître tant il en avait l'habitude. Tandis qu'il mangeait l'étudiant observait son téléphone, passant d'une application à une autre, il ne fallait plus qu'il tarde pour rejoindre la gare. L'application lui disait de partir dans cinq minutes, le temps d'enfiler ses chaussures, de fermer la porte et il était bon. Il avait ensuite un bus pour aller non loin de la gare mais sûrement pas le même que celui de son amie. Ensuite ils prendraient encore un autre bus.

Sur le chemin, le téléphone vibra plusieurs fois, rapidement, le tirant de sa demi-torpeur alors que le paysage défilait. La ville, ses bâtiments aux formes plus ou moins rectangulaires, avec tantôt des balcons ou des escaliers plus arrondis, afin de mettre un peu de surprise, d'art aussi peut-être ? Orion ne savait pas trop, et il était plutôt insensible à ce paysage humain. Il n'avait rien de magique, de spectaculaire, il s'agissait simplement de l'endroit où il vivait, l'endroit qu'il connaissait sans doute le plus. La seule chose qui attirait son attention était le ciel, vide et bien visible, avec ses nuages, les dernières étoiles qui disparaissaient dans le ciel, englouties, les couleurs se mélangeant, se divisant, fusionnant pour finalement laisser place à un simple ciel bleu, les couleurs de l'aube ne revenant qu'au crépuscule pour disparaître ensuite très rapidement. Il n'y avait pas de dragons, ou plutôt, il y en avait si peu, seulement quelques uns.
« J'arrive, je suis dans le bus » fut la seule réponse qu'il envoya à Ryuko, qu'elle impatiente tout de même ! Il arrivait bientôt mais voulait encore profiter de la douceur du bus pour somnoler. Rejetant sa tête en arrière il ferma les yeux, fatigué, rêvant de son lit.

Juste avant d'arriver à la gare, Orion checka rapidement les actualités, il était trop tôt pour avoir celles de huit heures mais avec les réseaux sociaux l'actualité durait toutes la journée et toute la nuit. Il traîna sur l'actualité principale en allant à la gare routière, il y trouva Ryuko de loin, attendant le bus, quelques autres personnes se trouvaient sur le quai mais l'horaire et le jour de la semaine ne permettait pas d'avoir un grand afflux.
— Salut, initia le garçon en s'asseyant sur le banc, t'as vu un peu ce qu'il s'est passé au château ? Ça craint quand même qu'ils soient pas capable de garder et de protéger un prisonnier directement dans l'enceinte du château...
Orion étira ses jambes puis ses bras à la manière d'un chat, et juste après il se laissa aller mollement, regardant son téléphone afin de pouvoir savoir dans combien de temps le bus allait arriver.
— Aller, on a pas longtemps à attendre encore.

Ryuko fut bien contente lorsque son ami arriva. Finalement il avait bien eu le courage de se lever à cette heure-ci, pour aller il ne savait trop ou ! Elle rangea les morceaux de tissus qu'elle tressait ensembles, et lui un signe de la main en le voyant approcher. L'esprit déjà sur l'escapade qui les attendait, Ryuko prit quelques secondes pour se remettre dans les actualités lorsque Orion évoqua le grabuge qu'avait causé la fuite du dragon au château. La jeune fille renchérit, hochant la tête.
– Ouais... et t'imagines s'il y a d'autres dragons comme cet Arashi ? Ils pourraient arriver du jour au lendemain... détruire un immeuble comme si c'était un château de carte. Tuer une centaine de personnes, et l'armée serait obligée de les combattre dans la ville. J'espère juste qu'il n'y aura pas... une nouvelle guerre... ou quoi que ce soit dans ce genre.
L'armée devait être dans le mal, avec tout ça. Mais ce qui l'inquiétait était un tout autre sujet.
– En tout cas, c'est cool que tu sois venu...
Ryuko se redressa, s'asseyant normalement sur le banc au lieu d'avoir ses jambes pliées dessus. Cette fois, en plus de son short en jean, elle avait mit des collants noirs couvrant intégralement ses jambes, même si la météo avait prévu une grosse chaleur, elle préférait risquer d'avoir chaud plutôt que subir les ronces ou autre végétation qui lui griffait la peau lorsqu'elle crapahutait hors des sentiers battus en forêt. La jeune fille se pencha légèrement en avant, appuyant ses coudes sur ses genoux, fixant le sol bétonné de la gare.
– Et, euh... ça veut dire... qu'on est toujours amis, hein ? lança t-elle sans préambule.
Mine de rien, elle s'inquiétait de ce que pensait Orion après la scène de la bibliothèque, puis tous les événements de la caserne. Sérieusement qui aurait envie de rester ami avec une personne en sachant qu'elle n'apporte que des ennuis ?
– Je sais que je peux être hyper chiante, dire de la merde et avoir des réactions débiles... mais... euh...
Ryuko soupira, se rendant compte qu'elle ne savait absolument pas comment terminer cette phrase. Mais quoi ? Mais rien du tout, elle-même ne se voudrait pas comme ami. Elle ne se rappelait même plus exactement comment ils avaient finis par devenir potes, ça c'était juste fait naturellement, c'était bizarre lorsqu'elle y repensait en sachant à quel points ils étaient différents.
– Ouais en fait, je sais pas comment tu fais pour me supporter... désolée...
Ses doigts tiraient nerveusement sur les bout de ficelles qui dépassaient des manches de son vieux sweat, généralement jamais elle ne s'excusait et surtout, jamais elle n'osait se remettre en question à voix haute, et encore moins exposer des doutes devant quelqu'un d'autre.

Lorsque le chauffeur arriva enfin pour ouvrir le bus et accueillir les clients, Ryuko n'attendit pas pour se réserver une place en avant dans la file pour grimper à l'intérieur du véhicule. Une fois les formalités du billet faites, elle choisit une place vers l'avant, mais pas trop en avant quand même, et posa son sac à ses pieds.
– On n'a trois quatre bonnes heures de voyage, t'aura le temps de piquer un somme.

Le voyage en bus était plutôt agréable. Ryuko avait replié ses jambes, les pieds sur le rebord du siège, les bras croisés et serrés contre sa poitrine, complètement recroquevillée sur elle-même. Si d'aventure il lui arrivait de se promener à pied tout en parlant sans s'arrêter, en bus la jeune fille restait silencieuse, l'esprit perdu dans le paysage qui défilait par la fenêtre. Les mouvements et le vrombissement régulier de la route devaient être berçant pour la plupart des passagers, car le bus était d'une quiétude et d'un silence confortable, personne ne parlait ou alors avec des chuchotements retenus. Ryuko ne somnolait pas, gardant les yeux rivés vers l'extérieur, la tête légèrement penchée contre le dossier. Pour la première fois elle se sentait coupable de partir de la ville sans prévenir, et surtout, de sécher une fois de plus les cours. On était lundi, elle savait qu'il s'agissait d'une grosse journée, avec des matières importantes et peut-être un contrôle en mathématiques – d'après les rares informations qu'elle avait pu glaner de ses camarades de classe – et pourtant elle n'y accordait pas vraiment d'importance. Et c'était bien cette désinvolture qui l'a dérangeait, comment pouvait-elle négliger autant les études alors qu'elle aurait dix-huit ans à la fin de l'année ? Et qu'elle n'avait absolument aucune idée de quoi faire après ? Aucun établissement d'étude ne voudrait accepter un dossier incomplet et aussi problématique. Elle s'imaginait déjà en train de chercher des petits boulots, le genre qui ne demande aucune compétence particulière, répétitifs et ennuyants, jusqu'à la fin de ses jours. Ce n'était pas comme si elle avait un projet ou une passion tel Orion et son informatique. Pourtant, elle n'arrivait pas à s'en inquiéter plus que ça, ayant la trop mauvaise habitude de tout remettre à plus tard et de ne voir qu'uniquement la futur à très court terme.

Les heures passèrent plutôt rapidement, bien que la gamine était assez agitée sur la fin. Heureusement un coin de son esprit était resté à surveiller les arrêts, lorsque le leur approcha, la jeune fille appuya plusieurs fois son index contre l'épaule d'Orion pour lui dire de bouger.
Il s'agissait d'un arrêt au bord d'une route, juste avant un village, dans les monts Celrons, au sud-ouest de la capitale. C'était par ici qu'elle venait généralement en scooter, puis suivait ensuite des chemins de terre jusqu'à leur fin, jusqu'à la zone aride ou la forêt laissait sa place aux cailloux. En descendant, Ryuko s'étira largement, pas mécontente de pouvoir enfin bouger. Il était pas loin de dix heures du matin, et il faisait déjà chaud. Et il restait encore de la marche avant d'arriver !
– Faut encore qu'on marche au moins deux heures ! dit-elle à l'intention de son ami. Mais t'inquiète, c'est plutôt plat, et y'a un chemin.
La jeune fille avait bien hâte de retrouver son scooter, en espérant qu'il soit toujours à la même place et en état de marche. En s'engageant sur le chemin terreux qui bordait la route non loin de l'arrêt, Ryuko avançait d'un pas tranquille, tout en sortant un sachet de mini barres de céréales de différentes saveurs, qu'elle tendit vers Orion.
– Tiens, t'en veux ? Tu peux prendre toutes celles aux pistaches, moi je les aiment pas celles-là.
Pour sa part, elle jeta son dévolu sur celles aux miel et aux noisettes, gardant les précieuses barres chocolat pour la fin.
– Dis t'as pas eu l'impression que je t'ai forcé à venir hein ? T'sais y'a pas de soucis si tu préfère rester en ville. Faut pas que tu te sente obligé ou quoi que ce soit...

Malgré la présence de son amie Orion continuait de scroller sur son écran pour attraper le plus d'information, il avait tout de même relevé la tête pour la saluer et lui parler, mais il continuait de regarder l'actualité. Après tout, c'était tout de même assez grave pour qu'il s'y intéresse. Il réalisa aussi que c'était sans doute pour ça qu'il n'avait pas eu de nouvelle de sa sœur, bien qu'il n'était pas sûr pour cette dernière. Mais bon, en tant que capitaine de la capitale elle devait bien avoir du travail avec tout ça.

— Il y a une grande partie de l'armée dans la capitale, ça serait du suicide de tenter une attaque, tenta de rassurer le garçon, puis maintenant ils vont sûrement être grave sur la défensive, ils vont sûrement tout renforcer, ils ne vont pas laisser un dragon aussi dangereux en liberté de tout manière.
Il haussa les épaules en terminant sa phrase, pour lui il n'y avait pas de raison de s'inquiéter, il s'agissait juste de deux fous exilés et non pas d'un groupuscule, certes ils avaient certainement eu de l'aide mais ce n'était sans doute pas pour s'organiser dans une rébellion. Dans tous les cas, pour lui, la guerre n'était pas une option, cela faisait seulement trois ans qu'ils en était sorti, bientôt quatre, il fallait être détraqué pour en vouloir une autre.

Lorsque Ryuko commença à se confondre en excuse un sourire se dessina sur les lèvres du garçon, il lui tapa dans l'épaule comme une grande claque de « mais qu'est-ce que tu me chante là ! » avant de lier le geste à la parole :
— T'es sérieuse, s'en amusa-t-il, si je me suis levé aussi tôt c'est pas pour t'envoyer bouler ensuite ! Franchement je sais pas c'qui m'aurait pris si j'avais fait ça, j'aurais les boules aussi.
Orion se moquait un peu des gens, ou plutôt il se moquait de leur comportement, bien sûr qu'il n'appréciait pas tout le monde, mais Ryuko était sûrement bien moins pire que d'autres personnes. Par ailleurs le geek qu'il était ne s'intégrait pas toujours avec les autres étudiants de l'académie, pour lui la plupart des étudiants voulaient intégrer le corps armée voire les casernes de pompiers avec leur dragon, le but étant de trouver un job avec leur compagnon. Il se sentait dans un autre monde, lui qui n'aimait pas les dragons, qui voulait plutôt rester dans l'ombre, derrière un ordinateur, puis son origine campagnarde n'arrangeait pas toujours l'écart, la sensation de fossé. Il ne cherchait pas spécifiquement à être beau, bien bâti et non il ne calculait pas non plus ses calories et ne buvait pas de milkshake protéiné. Pour lui les gens de la capitale était ce genre de personne, dans la beauté, l'excès, la consommation, bien sûr qu'il avait copié un peu de tout ceci, mais il refusait d'être catégorisé comme un cylnaien, ils étaient hors de son monde. Ryuko, et quelques amis de l'académie, parvenaient quand même à rester dans un monde proche, il s'agissait souvent de personne ne se prenant pas la tête avec les dernières modes, n'allant pas à la salle tous les trente minutes pour faire de la gonflette...
— Franchement ça va, tant que tu te prends pas la tête comme les autres, moi ça me change, les autres jeunes de la capitale sont si... Je sais pas, quand il y a une odeur chelou ils font une scène, quand il y a un insecte ils font une scène, quand il y a ceci, cela, et nanani...Ouais bien sûr parfois ça va pas, mais quand t'as un ongle cassé c'est pas la fin du monde et c'est quoi ce délire des protéines pour se gonfler et se prendre en photos on sait pas où ! Attend y a des gens qui vont dans des lieux trop dangereux et ils posent en maillot de bain c'est quand même super con, genre à quel moment tu te dis « hé ça te dit qu'on aille à la tourbe aux serpents pour poser avec le plus gros qu'on trouve ? Ouais génial ! ».
Un long soupir avait franchi les lèvres d'Orion qui avait aussi levé les yeux au ciel l'air de dire « nan mais sérieux quoi » avec un air très faux et ironique... Cynique même.
— Y a pas de quoi s'inquiéter, conclut-il plus sérieusement, tu le saurai sinon, comme avec les dragons quoi.

Orion laissa la jeune fille se faufiler pour choper une place, tant que l'un des deux s'installaient l'autre aurait sûrement une place. Il se laissa dans tous les cas tomber dans le siège, bien heureux de retrouver le confort d'un siège -de bus certes mais d'un siège tout de même-. Il avait lui aussi posé son sac sur le sol.
— Hmmm, quatre heures de sommeil en plus...
Il ne lui fallut pas longtemps pour s'endormir d'ailleurs, il aimait bien les transports et se demandait comment on pouvait aimer être à dos de dragon, comment délaisser le confort d'un dossier, en hiver comment délaisser le confort du chauffage, lors de météo pluvieuse ou neigeuse comment délaisser la carcasse qui les protéger ? Comment tout délaisser pour se retrouver sur le dos d'un dragon, sur des écailles, ou du cuir sous lequel on pouvait sentir les os, les muscles et tout le corps en soit.

Un drôle de grognement sortir de sa gorge pour signaler à la fois son mécontentement d'être réveillé et aussi le fait qu'il était réveillé. Comme un enfant il se frotta les deux yeux avant de cligner des paupières rapidement pour se réveiller. Le paysage lui rappelait presque la ferme de ses parents, c'était bien sympa de se retrouver loin de la ville, surtout que celle-ci devait dangereusement être agitée avec tout l'événement de la nuit. La peur, la surprise, la colère... Beaucoup d'émotions devaient pulluler dans la capitale après la fuite du dragon et de sa cavalière.
— Okay, on marche et je bouffe celle aux pistaches, t'as pas intérêt à regretter ton choix !
Même s'il n'était guère sportif, Orion apprécia la sensation de la marche après les heures de bus, c'était bien agréable pour l'instant.
— Je te l'ai dit, je ne serai pas ici, puis on sera bien mieux qu'à la capitale je pense... Enfin je ne sais même pas où on va mais ok pourquoi pas, s'amusa le garçon, tu connais le chemin ? Ou t'as regardé sur une carte pour connaître ce chemin ?

Le paquet de friandise devant deux jeunes affamés n'ayant qu'une durée de vie très limitée, Ryuko n'attendit pas pour attraper et stocker dans ses mains toutes les mini barres sucrées qu'elle voulait.
– Je ne regretterais pas mon choix, monsieur « j'ai-zéro-muscles-donc-je-snobe-ceux-qui-vont-à-la-salle » ! Et tu critiques bien, mais tu crois qu'on est mieux, nous, à sécher les cours et se faire chopper en pleine zone militaire ? C'est tout aussi débile que de faire un selfie avec un serpent géant...
Elle ricana légèrement, mais sans méchanceté, juste dans l'esprit de le vanner un peu. Ils venaient tout de même de se faire remonter les bretelles par nulle autre que l'armée, et les voilà, deux jours après, à repartir en expédition en jetant leurs responsabilités d'élèves par dessus l'épaule. La jeune fille regarda rapidement l'heure affichée sur son portable, toujours allumé mais qu'elle avait volontairement mit hors réseau, afin d'éviter les éventuels messages ou appels de sa mère. Les cours avaient déjà commencé. Mais de toute façon, elle était certaine que sa mère ne répondrait pas si jamais l'académie prenait encore la peine de l'appeler... après avoir passé toute la nuit à travailler à l'hôpital, elle devait sans doute dormir.

Mais tant pis pour tout ça, des cours et des études, Ryuko avait bien comprit que c'était trop tard pour elle, par la peine d'essayer de se rattraper. Il valait mieux profiter de l'instant présent plutôt que s'inquiéter pour l'avenir, ça c'était un problème pour la Ryuko du futur ! L'adolescente haussa les épaules en secouant la tête, lorsque son ami lui demanda si elle avait regardé une carte pour trouver ce chemin.
– Nan, nan, je viens souvent dans ce coin. J'y ai laissé mon scooter la dernière fois, faut bien que j'aille le récupérer...
La jeune fille fourra le paquet vide de friandise dans son sac, et elle qui marchait déjà d'un bon rythme, accéléra encore un peu le pas lorsque le paysage commença doucement à changer. Les arbres se faisaient moins verts, plus secs et rares, la verdure peu à peu remplacée par des roches de couleurs sable ou brunes, le sol devenait craquelé par endroit. Même le chemin sur lequel il était finissait par se terminer, se perdre entre les cailloux et disparaître complètement, ne laissant plus une trace de passage humain. L'air boisé également s'en était allé, laissant sa place aux brises brûlantes d'été, qui transportaient la poussière sur le sol. La jonction entre la forêt et la zone aride était étrangement rapide, ce n'était l'affaire que d'un ou deux kilomètres, ce qui pouvait surprendre.
Le chemin de terre ayant complètement disparu, Ryuko se mit à slalomer entre les grosses pierres, connaissant par cœur la direction et reconnaissant les rochers devant lesquels il fallait passer pour ne pas tourner en rond. En plus du climat sec, le terrain tortueux n'arrangeait pas la progression, à certains endroits il fallait escalader une petite pente, ou au contraire faire attention dans une légère descente, en bref crapahuter entre la caillasse qui semblait toujours beaucoup moins casse-genou lorsque c'était Dahaka qui l'a survolait.
Au bout d'un moment, le monument qui trônait au milieu de ce nulle part se montra enfin. Ils étaient un peu loin, de leur point de vue, la tour Taejin n'était pas plus grande qu'un petit doigt. Du moins, le morceau de la tour qui était toujours debout n'était pas plus grand qu'un petit doigt.
– On voit bien la tour Taejin d'ici, dit-elle en pointant vaguement la direction du bras. Tu connais ? Ce vieux truc tout pété et super moche en plein milieu de nulle part... À chaque fois que je viens, j'me demande qui a eu la brillante idée de poser ce machin la.

Ryuko leva le nez au ciel. On ne voyait aucun forme serpentine se déplacer, ni au-dessus du paysage, ni au-dessus de la tour. Seulement le bleu sans nuages. Et puisque qu'elle était lancée au sujet de la tour et de cet endroit, autant continuer, non ? Et puis c'était mieux de prévenir Orion qu'ils risquaient de se retrouver nez à nez avec un sorte de monstre bizarre et effrayant.
– … Et y'a un monstre qui ressemble à un tas de débris qu'on aurait collé entre eux en forme de serpent. Il s'appelle Dahaka, il est un peu bizarre et il peut faire exploser ce qu'il veut, mas t'inquiète, il est cool. Enfin, du moment que t'essaye pas d'entrer dans la tour. Oh, et puis y'a souvent des flans ou des bombos qui traînent, mais t'en fais pas, s'ils nous voient il suffit de courir et ils lâcherons l'affaire.
Tout en parlant, elle fureta entre les cailloux pour retrouver le bon endroit. Ici au moins, on était loin de cet espèce de bruit de fond ambiant qu'on entendait même à plusieurs kilomètres des villes. Et puis, même les gens des villages alentours ne venaient pas traîner dans le coin.
– C'est pour ça que je viens souvent par ici... y'a personne. Et y'a plein de place, même s'il fait super chaud et c'est tout rocailleux. Les gens s'approchent pas à cause du monstre, alors c'est tranquille. En vrai, il est plutôt... sympa. On vit clairement pas dans le même monde alors c'est compliqué de le comprendre parfois, mais j'aime bien venir le voir. T'sais, t'es la première personne à qui je parle de ça... et qui viens avec moi dans le coin. J'espère qu'il te fera pas exploser, et.... ah, le voilà !
L'adolescente fut soulagée de retrouver son scooter intact, l'attendant sagement là ou elle l'avait laissé, bêtement couché dans la poussière à côté d'une pierre. Et, d'une certaine manière, à la fois soulagée et contente d'avoir raconté tout ça à Orion... mais restant tout de même légèrement inquiète quant à la réaction de Dahaka, s'il se rendait compte qu'un inconnu était là. Ces pensées tournaient à plein régime, essayant de se rassurer. Tout devrait bien se passer, le monstre n'était pas foncièrement agressif, il n'avait pas de raison d'attaquer, et puis peut-être qu'il était tout simplement parti chasser et qu'ils ne le croiseraient pas.

Ryuko marquait un point, ils étaient aussi deux jeunes cons pensa-t-il, ils n'étaient pas dès plus intelligent en effet pour aller se balader dans des zones à accès restreints, à se faire choper en plus ! C'était ça le comble ! Plus il y pensait, plus son amie déteignait sur lui en fait, lui qui aimait le confort de sa chaise de bureau se surprenait à penser qu'ils avaient été bêtes de se faire prendre sur ce terrain militaire, bien que dans un sens, cela avait été un vrai soulagement vu l'horreur qu'ils avaient vu, ou cru voir, il ne savait pas vraiment en fait mais il avait eu bien peur, et quand il y repensait il se disait qu'il préférait jouer aux jeux et non être le protagoniste du jeu ! Pourtant le voilà, une nouvelle fois « à l'aventure », se demandant tout de même quel mouche l'avait piqué. Et en même temps il était un fils de fermier, c'était peut-être dans son sang ? En tout cas, lui ne fit pas de provision et mangeant toutes ses friandises sans réfléchir, il avait faim après tout, cela faisait déjà des heures qu'il était debout, et en activité physique ! Bon d'accord, le bus n'était pas une activité physique mais le plaisir de se dégourdir les jambes étaient passé, laissant place à la pénibilité de la marche sur un terrain de végétaux, de racines, de cailloux et d'insectes.
— Ouais bon, ok, c'est débile aussi, et j'ai rien pour contrer ça, rechigna-t-il.
Orion prit un air un peu contrit et confit même, mais plus comme ça, il n'aimait pas se prendre la tête après tout, alors c'était pour jouer la comédie plus qu'autre chose.

Lui ne pensa pas à l'académie, il n'avait toujours pas pu voir sa sœur depuis la dernière fois, et la dernière fois n'avait pas réellement était un bon moment pour lui dire « je veux quitter l'académie car je ne suis pas cavalier et je ne veux pas être dans l'armée merci !!! ». De toute manière il n'était plus au lycée, mais dans l'équivalent de l'université alors théoriquement c'était à lui de décider s'il voulait y aller ou non -même si ça ne marchait pas réellement comme ça- alors il se moquait un peu... Après tout il avait payé son inscription, ils allaient pas l'enquiquiné non plus pour qu'il assiste à des cours où même les enseignants avaient perdu tout espoir de l'intéresser aux sujets enseignés. Lui il voulait profiter de sa jeunesse avant une vie d'adulte qui était une vie de servitude pour lui, travailler, donner une partie de ses couronnes pour le roi et l'état, travailler tous les jours, rentrer tard, devoir manger, se laver et dormir, ne plus avoir le temps de jouer, de profiter... Pour l'instant il faisait des petits boulots pour sa sœur mais ça ne prenait pas longtemps non plus, bien qu'avec les derniers événements il allait sûrement ne plus avoir de petits travaux par sa sœur. Mais dans tous les cas ce genre de travail ne lui prenait jamais longtemps, alors qu'avec un travail à temps plein... Pour l'instant il aimait bien vivre, profiter et jouer, il se préoccupait de temps à autre de son avenir mais tout, ou du moins trop de choses, tournait autour des dragons, ce qui l'ennuyait profondément.

— T'as l'habitude ? Mais tu viens faire quoi ici ? C'est plutôt désert, et puis ça commence à devenir poussiéreux aussi...
Il traîna des pieds pour faire monter la poussière avant de l'écarter des mains, il n'y avait plus de chemin, mais il faisait confiance à la jeune fille, alors il continuait, suivant ses traces il zigzaguait aussi entre les rocs, trébuchant et glissant à moitié, il fut même happé lors d'une légère descente qu'il dut faire en courant, sans quoi il se serait sûrement cassé la figure, la tête en avant.
Aussi, la chaleur avait commencé à être lourde, et le soleil tapait fort dorénavant, même son bandeau n'arrivait plus à faire écran, alors Orion plissait sans arrêt des yeux qui lui piquaient et le grattaient à cause de leur sensibilité. Il n'avait pas envie d'être collant et tout transpirant, mais l'été, le sud et se retrouver dans les monts n'étaient clairement pas des facteurs de fraîcheur.
Il les plissa de nouveau pour bien distinguer la tour, mais on ne pouvait voir qu'une pointe bleutée au milieu des falaises de la montagne, aucun détail n'était visible, pas même une fenêtre ou une porte, rien du tout. La tour paraissait toute petite.

Le garçon écouta sa camarade lui parler des monstres, il ne fut pas rassuré par ce « monstre en forme de serpent s'appelant Dahaka », il pouvait faire exploser ce qu'il voulait ? Mais que faisait Ryuko dans un endroit aussi dangereux ! Et ce monstre pouvait parler ? Ou juste qu'il avait un comportement « cool » ? Les flans et les bombos... il n'aimait pas ça non plus, mais encore moins que le fait de courir alors il pouvait bien courir pour les fuir mais l'autre... chose qui pouvait tout faire exploser ? Cela ne lui augurait rien de bon...
Pour autant, l'étudiant pouvait comprendre les raisons pour lesquelles Ryuko aimait venir ici, bien qu'il préféra le confort de sa chambre, il fallait admettre qu'il n'y avait rien autour d'eux. Pas de bruits de moteurs, de gens, connaissant son amie il comprenait qu'elle aime partir, se réfugier ici. C'était calme ça c'est sûr, mais il y avait quand même des lieux plus calmes plus proche !

— Et maintenant on fait quoi du coup, vu que t'as récupéré ton scooter ? Il marche d'ailleurs ? Mais c'est un dragon aussi du coup ce monstre serpentin ? Ou c'est un monstre lucide qui parle ?
La jeune fille avait réussi à titiller sa curiosité, même si tout portait à croire que c'était un dragon et que ce sujet là n'était pas fort intéressant pour lui, il voulait comprendre comment elle l'avait découvert, noué le contact, comment une chose aussi surprenante avait pu avoir lieu. En effet, pour lui c'était surprenant, déjà parce qu'il fallait venir jusqu'ici, et ce n'était pas de tout repos !

–

Son regard se baladait entre les différentes statues qui ornaient cette tour, à chaque étage il y en avait une, et à la base de la tour, dans la salle principale, plusieurs statues se situaient au juste milieu du cercle. Il y avait quelque chose qu'il ne comprenait pas dans ses statues, quelque chose qui lui rappelait un vague souvenir, le dragon n'appréciait pas ces statues, mais quelque chose le retenait de les faire exploser, il n'arrivait pas à aller jusqu'au bout. Sa queue brillait mais n'allait pas plus loin. Pas d'explosion, pas de débris de statues. Rien.

Dahaka se trouvait dans sa forme développée, le faux crâne était relevé, comme un bouclier protégeant son dos. Il somnolait, sans toucher le sol, et par réflexe sa queue venait frapper le drôle de rouleau qui montait et descendait le long de la tour, produisant une légère musique de carillon qu'il aimait tant. Le dragon était en repos, il cherchait à se souvenir, à attraper les brides de souvenirs qu'il avait pu avoir en cinq siècles, mais le dragon ne parvenait pas à saisir ces morceaux de mémoires. Il n'y avait rien, aucune image, pas même de sons, aucune parole. Avait-il eut un cavalier par le passé ? Qu'avait-il pu faire durant des années ? Avait-il toujours protégé cette tour ? Pourquoi la protégeait-il ? Parce qu'elle était son nid, son territoire ? Il était vrai que depuis son réveil après son long sommeil il avait établi son lieu de vie autours de cette tour, il dormait dedans, se sentant protégé et à la fois il n'avait pas confiance en ces statues.

Ses longues griffes se refermèrent sur le corps d'une vache qu'il avait dérobé aux paysans, il gardait cette tour comme un bien précieux, la caricature du dragon gardant son trésor, ses crocs s'enfoncèrent dans les chairs, venant arracher la viande, tout en réfléchissant à a place dans le monde. Que devait-il faire ? Quel rôle avait-il à faire sur cette île ? Dahaka réfléchissait, en vain, sans jamais trouver. Il pensa à sa jeune cavalière, dont il commençait à sentir la proximité, à moins que son esprit ne lui jouait des tours, la bête songeait à son pouvoir, cette flamme rougeoyante et violente, qui s'était jetée sur la vie comme pour la supprimer.
Le dragon se lassait des mêmes monts, toujours les mêmes roches, les mêmes bombos et flans, mais une force mystérieuse le retenait ici, en ces lieux, alors il se disait que s'il parvenait à retrouver la mémoire peut-être serait-il enfin libre, comme le vent du sud qui apporte les grains de sable du désert, comme le vent du nord qui apport la morsure de la glace. Cependant Dahaka n'était pas libre, et pour seule activité il avait ses réflexions, ses pensées et la chasse.

Il écarta les ossements qui rejoignirent d'autres squelettes de pauvres bêtes, puis reprenant sa position initiale, la tête -la véritable- sous son ventre, Dahaka s'éleva dans sa tour, ses grandes pattes s'appuyèrent sur les statues, l'aidant à se propulser un peu plus dans les courants d'air de sa tour. Il ondulait lentement vers le sommet, son faux visage le protégeait des rayons du soleil, susceptible de l'éblouir, même si ce visage pouvait voir, s'articuler pour donner l'impression de parler, il était insensible comme une grande partie de son corps étrange.
Lorsqu'il atteignit le sommet, Dahaka se stoppa, il observa les monts, mais cette fois-ci il ne quitterait pas encore sa tour, alors, l'animal s'enroula sur lui même, laissant ses grandes pattes avant pendre dans le vide de sa tour. Il pouvait sentir les vents, les vents qui lui apportaient odeurs, paroles et promesses de liberté. Dahaka attendait, il cherchait quoi faire, son but, son objectif dans la vie.

Tout en marchant, Ryuko fixa Orion d'un air hagard, on aurait dit que la jeune fille venait de se faire interroger au tableau par un professeur alors qu'elle n'avait absolument rien révisé. Et pour cause, elle ne connaissait pas la réponse aux trois quart des questions que venait de lâcher son ami.
– Euh, d'habitude je viens traîner ou explorer... et puis, je sais pas, j'aime bien cet endroit, répondit-elle en haussant les épaules.
Mais d'un côté, les questions sur la nature de Dahaka lui faisait plaisir à entendre, surtout de la part d'Orion. Ça faisait du bien de partager des hypothèses avec quelqu'un d'autre que sa propre conscience, d'extérioriser les questions au lieu de les laisser tourner en rond.
– En fait je sais pas ce que c'est. Pas sur que ce soit un dragon, tu vois... d'accord, si on le regarde de très loin et qu'on est très myope, on peut le voir comme un dragon estival... sans ailes, quoi. Euh en fait non, il a que deux pattes. Si c'est un dragon, c'est sûrement pas une race connue. Et si c'est pas un dragon, c'est plutôt... ouais t'as raison, un monstre lucide qui parle...
À peine venait-elle de terminer sa phrase qu'elle aperçu du mouvement au-dessus de la tour. En plissant les yeux, Ryuko remarqua la forme serpentine du dragon flotter légèrement au dessus du bâtiment. Il semblait immobile, et n'avait pas spécialement l'air de les avoir remarqué. Ou peut-être qu'il les ignorait simplement.
– Ah, on le voit, regarde ! annonça t-elle d'un geste du bras. Si ça se trouve, c'est plutôt un genre d'esprit gardien qui a prit possession d'un tas de morceaux de statues. Tu vois, le genre lié à un endroit ou qui doit protéger quelque chose... lié à... une tour cassée...
En formulant à voix haute ce qu'elle avait jusqu'ici simplement remarqué, Ryuko fut frappée par l'absurdité et la tristesse de la chose. Dahaka ne l'avait jamais dit à voix haute, et n'avait jamais vraiment abordé le sujet en détails, alors la jeune fille ne pouvait l'affirmer. Mais si ce dragon était réellement obligé de rester ici ? Peut-être qu'il avait juste un attachement affectif, ou qu'il avait juste choisit cet endroit pour être son nid. Ou qu'il était réellement attaché à la tour par un sortilège, une malédiction ou quelque chose. Quoi qu'il en soit, elle avait du mal à imaginer être obligé de rester à un endroit, ou pas loin, que ce soit une journée ou une heure. Alors tout une vie ? Ou des années ? Impensable.

En tout cas, Dahaka n'avait pas vraiment l'air de vouloir bouger. Ryuko n'osait pas essayer de l'appeler, de toute façon vu la distance elle doutait que sa voix lui parvienne, il faudrait avoir le coffre d'un dragon pour qu'il entende. Quoi qu'il en soit, la jeune fille se stoppa, indécise.
– Je sais pas... si c'est une bonne idée d'aller le déranger. D'habitude il vient de lui-même quand j'approche, du coup s'il préfère rester dans la tour, faut mieux pas insister. Je l'ai jamais vu en colère, et je suis pas spécialement pressée... Bon par contre tu parles pas de ça, hein ! C'est secret. Faudrait pas que trop de gens se mettent en tête de venir traîner par ici, et encore moins d'entrer dans la tour... j'ai jamais essayé, mais je suis sûre d'un truc : c'est une trèèèèèès mauvaise idée.
Il ne manquerait plus que des scientifiques se mettent en tête de venir étudier la bête. Elle ne voudrait surtout pas attirer davantage de problèmes au dragon, et s'il risquait de devenir plus agressif et ne plus accepter que quiconque s'approche du coin ?
Ryuko raffermit sa prise sur le guidon de son scooter, et tourna la clé pour vérifier qu'il marchait toujours. Le moteur crachota, mais en insistant un peu, il fini par démarrer et émettre son vrombissement habituel. Sans masquer un soulagement, la jeune fille l'éteignit. Autre part que sur une route de béton, il ne servait pas à grand chose, alors autant continuer à le pousser, ça allait juste être assez embêtant de devoir s'encombrer de cet appareil pour le reste du voyage.

– Ben si t'en a marre de marcher, on peu rentrer si tu veux. Sinon, je pensais aller voir les reste du sceau, celui qui est par là. Paraît que les arbres sont devenus comme des cristaux autour. Sur l'arpanet j'ai aussi vu des gens dire qu'il se passait des phénomènes bizarres autour des anciens sceaux. Peut-être qu'on verra un tulpa même.
Elle pointa vaguement la direction du nord-ouest du bras. D'après les informations qu'elle avait lu, les restes du sceaux détruits devraient se trouver à une dizaine de kilomètres. La bonne nouvelle était qu'il s'agissait de forêt et d'un terrain assez plat, donc pas besoin de se fatiguer sur du dénivelé ou entre des rochers escarpés de montagne.